Entretien avec Chantale Jean, régisseur général du Festival de Théâtre de rue de Lachine

Publié le par Martin Julhès

SDC10729Mardi 17 février 2010, Chantale Jean - qui travaille entre autre comme régisseur général au Festival de théâtre de rue de Lachine à Montréal depuis plusieurs années - m'a accordé un entretien de près d'une heure pour me parler de son métier et plus généralement du secteur des arts de la rue au Canada. Nous nous sommes retrouvés à la table d'un restaurant où elle a répondu avec précisions aux questions que je lui posais, prenant le temps de m'expliquer les choses, notamment ce qui lui plait particulièrement dans son métier.

Vous trouverez ici un compte-rendu de cet entretien, que j'ai dû parfois tailler à sa demande à certains endroits, lorsque la discussion devenait trop personnelle ou lorsqu'elle concernait ce que l'on peut appeller des secrets professionnels. Un grand merci à Chantale pour sa gentillesse et sa disponibilité.

 

M.J. : Pour commencer j'aimerais que tu te présentes, que tu me dises d'où tu viens, qu'elle est ta formation, ton parcours professionnel ? Comment t'es-tu retrouvée à travailler au Festival de théâtre de rue de Lachine ?

C.J. : Je viens de la ville de Québec, j'ai fait une formation de mise en scène à Québec puis une formation de comédienne à Montréal en jeu. J'ai beaucoup travaillé comme comédienne au début de ma carrière, au théâtre, j'ai fait des mises en scène aussi. Puis par la suite je me suis dirigée un peu malgré moi vers la direction de production, la régie générale de festivals. Au début je faisais les performances au Festival de théâtre de rue de Shawinigan1 et ensuite j'ai travaillé comme comédienne pour des compagnies françaises qui avaient besoin de comédiens, il y a peut-être quatre ans de cela pour la dernière édition. J'ai fait toutes les éditions du festival de Shawinigan, j'ai soit travaillé comme comédienne, soit en direction de production et ensuite quand le festival a déménagé à Lachine2 j'ai fait de la direction de production pour d'autres compagnies. Les organisateurs du Festival de théâtre de rue de Lachine sont des gens avec qui j'ai étudié, on se connaît très bien et donc on savait ce qu'on était capable de faire ; en fait je suis un peu arrivée à la régie générale par la porte arrière. Je me suis mise à faire de la régie, j'ai aimé ça et je pense que j'étais relativement bonne. Ensuite j'ai travaillé pour le festival Juste pour rire3 en régie, sur le Festival Label rue4 également, en France. Je me suis beaucoup occupée de la compagnie française Transe Express, les accueillir ici, puis la Compagnie Tilt que j'ai essayé de vendre. Je n'avais pas prévu de devenir régisseur général. J'ai toujours aimé le théâtre de rue : je fais de la direction de production, je joue encore, je fais de la mise en scène, mais la régie occupe une plus grosse place que le reste.

M.J. : Tu vis de ton travail de régisseur ou de l'ensemble de tes activités ?

C.J. : Je vis de tout cela : comédienne, régisseur, metteur en scène, etc. J'enseigne aussi le théâtre dans une école. C'est beaucoup comme ça au Québec. Je suis travailleur autonome, je suis rémunérée à la pige. Nous on n'est pas comme les intermittents du spectacle en France, il n'y a pas de sécurité liée à l'assurance chômage.

M.J. : Tu peux m'expliquer en quoi consiste le travail de régisseur général, particulièrement sur l'espace public ?

C.J. : Étant donné qu'on forme une tout petite équipe, c'est pas mal moi qui m'occupe de tout, c'est-à-dire l'accueil des compagnies, les besoins techniques, les demandes qui se font auprès de la ville, car nous sommes très liés avec la ville de Lachine qui nous offre énormément de services. Je dois préparer cela avant que le festival ne commence, avec les contremaîtres de chaque spécialité car ça n'est pas comme une communauté de commune, il y a quelqu'un qui s'occupe des déchets, un organisme différent qui s'occupe de l'électricité, etc. Je dois dealer avec tous ces gens là. Je m'occupe d'organiser cela avec la gente culturelle de la ville de Lachine. Je prends contact avec les compagnies avant, je me renseigne sur leurs besoins techniques, leurs besoins physiques, car c'est moi qui m'occupe de répondre à leurs besoins matériels, si elles ont besoin de décors, d'accessoires, de moduler l'espace public. Ça arrive même qu'on demande à la ville de fabriquer des choses. Par contre je ne m'occupe jamais de ce qui a rapport à l'argent.

M.J. : Quand tu as certains besoins techniques, est-ce toi qui les chiffrent ?

C.J. : C'est moi, mais généralement les besoins techniques au niveau du son ou des lumières ça n'est pas moi, je m'occupe juste de récolter les informations et c'est le directeur technique qui s'occupe de cela. Je m'occupe aussi de l'hébergement, du transport... Le catering5 ça n'est pas moi qui m'en occupe mais je m'occupe de tout ce qui est tickets, de toute la logistique. Une semaine avant l'arrivée des compagnies, j'ai trois régisseurs qui arrivent alors que le travail de préparation est fait. J'ai déterminé avec le directeur artistique où on va placer les compagnies, sur l'espace public, si bien que quand les régisseurs arrivent 80% du travail est fait. Ils ont juste à prendre connaissance des dossiers pour bien accueillir les compagnies, ils préparent les loges et s'occupent de tous les détails de dernière minute.

M.J. : Tu disais que tu es arrivée dans le métier un petit peu par hasard, parce que vous étiez une bande d'amis et puis toi tu as pris ces compétences là parce que ça te plaisait, mais tu n'as pas suivi de formation particulière ?

C.J. : Non. Et puis curieusement - c'est peut-être un peu kamikaze - je suis toujours tombée sur des grosses productions, avec Juste pour rire par exemple, du coup la logistique ne m'a jamais fait peur. A part Label rue qui est un festival plus petit, j'ai toujours travaillé pour de gros festivals.

M.J. : Et ton travail avec les régisseurs des compagnies ça se passe comment ? Vous avez la même façon de travailler ici qu'en Europe ?

C.J. : Non, nous ne travaillons pas de la même manière. Je trouve qu'en Europe il y a bien sûr des festivals très bien organisés mais il y en a d'autres hyper désorganisés, fait à « l'arrache » quoi, ce qu'on retrouve peu ici. Je trouve qu'en France il y a beaucoup de discussions avant l'action, alors que nous – et c'est sans doute l'influence américaine – nous sommes dans l'action. On fait ce qu'il y a à faire et si il y a un problème on en discute, mais on n'en discute pas avant. Par contre je trouve qu'en Europe ce côté communautaire qui existe dans l'organisation des évènements est ici absent. Se demander si les habitants occupent le territoire, si ils participent aux projets, ça ne sont pas des préoccupations pour ceux qui dirigent les festivals. A mon avis c'est une lacune. Si tu veux que ça grimpe chaque année, que ça « build6 », il faut que les gens se sentent impliqués et qu'ils sentent que le festival est à eux aussi. On avait cela à Shawinigan, plus qu'à Lachine, mais à Lachine c'est récent. Ça dépend beaucoup de l'ouverture de ceux qui dirigent. À Juste pour rire c'est la même chose, c'est une grosse machine, je trouve ça très américain dans la manière de fonctionner.

M.J. : Pourrais-tu me parler du Festival de théâtre de rue de Lachine, de son histoire ? Pourquoi le festival s'est-il déplacé de Shawinigan à Lachine ?

C.J. : Le désir de construire ce festival est venu du directeur général – Yves Dolbec – qui habitait à Shawinigan et qui avait le goût de monter quelque chose. Ça a commencé très petit, les premières éditions étaient très modestes, ce sont les organisateurs qui faisaient la régie et peu à peu se sont greffés des gens du coin comme Philippe Gauthier et Rémi-Pierre Paquin qui font aujourd'hui la programmation ; c'est avec eux que j'ai étudié en théâtre. Shawinigan est un petit bled, chaque année le festival s'est mis à grandir, les gens étaient de plus en plus intéressés et intrigués car ils ne connaissaient pas ça. De ce fait on pouvait être très audacieux dans la programmation, par exemple on a programmé la compagnie française Cacahuète avec leur spectacle L'enterrement de maman qui est assez « trash », mais les gens avaient une certaine curiosité et ils se sont sentis privilégiés.

Ce qui a fait que le festival a déménagé à Lachine c'est qu'il y a eu une fusion des villes et villages, des municipalités et des gens qui dirigent du côté de Shawinigan. Du coup ils sont repartis un peu à zéro car avant ils avaient des subventions du Conseil des Arts7, de Patrimoine Canada8 et avec le changement de municipalité, au début ils n'avaient plus droit à rien. Je ne sais pas d'ailleurs si ils y ont droit à nouveau, car j'essaye de me tenir le plus loin possible des affaires d'argent. Ce qui est dommage c'est qu'avant cet épisode là il n'y avait que Shawinigan qui faisait un festival de rue dans tout le Canada, ça n'existait pas ailleurs. Ce qui fait que les artistes venaient à Shawinigan car c'était une belle vitrine, tout le monde venait de l'extérieur pour voir le festival. Maintenant il y a Juste pour rire qui fait des arts de la rue, il y a aussi le Festival d'été de Québec qui est un festival de musique mais qui incorpore les arts de la rue.

M.J. : Dans ton travail de régisseur quelles sont les difficultés que tu rencontres ?

C.J. : Je trouve que la programmation est faite trop tard. Du coup je dois travailler en vitesse, c'est super « rushant9 », on ne sait jamais combien on va avoir de sous. Pour moi c'est ce qui est le plus difficile. Niveau autorisations avec la municipalité on peut dire que ça va super bien, on rencontre toujours des pépins mais pour cela on est extrêmement préparé. On prépare avec la personne de la gente culturelle toutes les demandes écrites pour la ville, de la poubelle au sac poubelle. Avec tous les contremaîtres de chaque spécialité on passe en revue tous les points. Par exemple je demande que l'on m'apporte six poubelles à tel lieu.

M.J. : Où a lieu le festival sur l'espace public ? Dans la rue, dans un parc ?

C.J. : Il a lieu sur les berges du canal de Lachine qui forment un parc, il y a une piste cyclable avec une allée piétonne. Dans les rues du parc l'année passée il y avait une déambulation par exemple. Etant donné que le lieu est très grand, on évite d'aller dans les rues de Lachine. A Shawinigan par contre c'était complètement dans la rue , il y a beaucoup de ruelles, c'était un super lieu. Mais à Lachine ça s'y prête moins bien.

M.J. : Est-ce que tu pourrais me donner ta définition de l'espace public ?

C.J. : Quand j'entends « espace public » je vois cela comme un lieu public dont tout le monde peut bénéficier, dont tout le monde peut profiter. On n’ utilise pas beaucoup ce terme d'espace public ici, pour nous c'est plutôt terrain public. Dans ma tête espace public fait référence à théâtre de rue français, mais ici cette notion renvoie à un espace où tout le monde peut aller mais pas nécessairement quelque chose que tu t'appropries pour faire de l'art. Les arts de la rue ne sont pas ici une tradition, c'est très jeune, les gens ne sont pas habitués à cela. Ils pensent habituellement « amuseurs publics » qui existent ici, comme des jongleurs par exemple, ce qui ne fait pas partie pour moi nécessairement du théâtre de rue.

M.J. : Pour toi si j'ai bien compris la notion d'espace public résonne dans ta tête comme arts de la rue au niveau de l'Europe. Il n'y a pas une autre idée que tu t'en fais plus personnelle, de ce qui est possible sur l'espace public de ce qui ne l’est pas ?

C.J. : Moi ce que j'aimerais c'est que l'espace public soit plus habité, peu importe que ça soit un festival ou non, que si l'on veuille installer quelque chose, faire une manifestation quelconque cela puisse se faire. Mais ici tout est carré tu peux pas faire ce que tu veux, il y a des règlements. En Europe l'occupation de l'espace public est très axée sur la décoration, la scénographie, les manifestations visuelles, etc… Ici les festivals commencent à promouvoir un peu cela.

M.J. : Qu'est-ce qui t'intéresse, qu'est ce qui te motive dans l'organisation de projets culturels sur l'espace public comme le Festival de théâtre de rue de Lachine ?

C.J. : C'est d'emmener le théâtre aux gens, c'est principalement cela, de les mettre en contact avec le théâtre d'une autre façon. Leur montrer que le théâtre n'a pas lieu uniquement dans une salle, assis, mais se manifeste de plusieurs façons. Avec les arts de la rue tout devient super accessible, c'est gratuit.  Cela permet de mettre en contexte un lieu aussi, quand je revois tel lieu je repense à tel spectacle qui lui est associé, ça donne une âme au lieu.

M.J. : Penses-tu qu'il existe de réels enjeux au niveau social, dans le fait que les gens puissent se rencontrer, que les gens puissent réfléchir ou discuter par rapport à ce qu'ils voient, à ce qu'ils sont en train de vivre ? Est-ce que ça chamboule le quotidien ?

C.J. : Oui et non. Je pense qu'il y a quand même un travail à faire pour émouvoir ou aller chercher les gens. On est beaucoup dans une culture du rire, il faut que ça soit drôle, on ne veut pas réfléchir. J'ai constaté que des spectacles ont fait réagir les gens, après coup j'ai entendu des choses qui montraient que les spectacles avaient comme sonné une cloche, avaient titillé le public. Mon but en tant qu'organisateur c'est de donner un peu d'art, un peu de magnifique dans l'espace public. Ce qui m'intéresse c'est de montrer un peu tout ce qu'on peut faire avec ce que l'on a. Je me pose beaucoup de questions par rapport au territoire, notamment par rapport à mon expérience à Label rue à Lasalle, qui chaque année change de territoire, toujours dans les Cévennes mais change de ville. Les organisateurs ont comme vocation de s'approprier le territoire, de faire participer les habitants, d'essayer de leur faire découvrir leur ville. Je trouve que l'idée est super mais l'expérience prouve que ça n'est pas tout le temps réussi. La façon de l'amener n'est peut-être pas toujours la bonne. Tu arrives dans une ville pour faire un festival, un peu en inquisiteur, mais ça prend du temps de créer des liens avec les gens. Changer de ville chaque année je ne pense pas que ça soit le bon choix, si tu changes de ville c'est presque toujours le même genre de personnes qui vont participer à ces évènements là. C'est rarement le monsieur du coin, il va peut-être regarder un peu par la fenêtre pour voir ce qui se passe mais il ne sortira pas. C'est après que les habitants sentent la différence. Après un festival, le lendemain c'est la désolation dans le village parce que c'est fini et qu'il ne se passe plus rien. C'était ça à Shawinigan, le festival se terminait le dimanche et quand arrivait le lundi il n'y avait plus rien, la vie recommençait.

M.J. : Et les gens en parlaient à Shawinigan ?

C.J. : Oui les gens en parlaient beaucoup. Ils parlaient surtout de ce qui avait été provoquant.

M.J. : En tant que régisseur général tu es confrontée aux artistes, tu réponds à leurs besoins, tu bosses avec eux. Est-ce que lorsque le spectacle commence tu changes de regard puisque tu fais un peu partie du public à ce moment là, même si tu as évidemment du travail, tu te retrouves quand même face à ce qui se passe ?

C.J. : Oui, je regarde autour, j'observe généralement une fois que le spectacle est parti, à moins que j'aie des choses à faire. Je me mets à l'écart et puis j'observe un peu tout. Je m'occupe souvent des compagnies qui viennent de la France, parce que c'est les plus grosses, alors c'est sûr que si je n'ai rien à faire je reste à l'écart et puis j'observe les gens, mais en même temps je veille à ce que ça ne soit pas la débandade. Je suis à moitié spectateur et à moitié à l'affût pour voir si il ne se passe pas des choses. Quand c'est une déambulation, comme l'année passée, il faut que je suive et que je travaille avec la police. J'aime bien me placer en spectateur.

M.J. : C'est quoi pour toi un spectacle qui est réussi ? Parfois tu dois être confrontée à des réactions fortes de la part du public, du type « qui est-ce qui paye ça ? », ou « ça sert à rien, pourquoi on laisse faire ça ? », etc. Est-ce que selon toi c'est un problème ou alors c'est plutôt quelque chose de positif, car cela voudrait dire que si cela suscite questionnements et réactions c'est que quelque chose se crée ?

C.J. : Pour moi c'est les deux. Ça suscite un questionnement mais dès fois les réactions violentes sont justifiées car on sent que c'est n'importe quoi. Il y des compagnies où tu te dis que quand même c'est de la merde là ! Qu'est-ce que c'est que ça ? Il y en a d'autres où tu te dis que si tu réagis aussi fortement c'est que ça réveille quelque chose en toi, ça veut dire quelque chose. Qu'est-ce qui te dérange là dedans et pourquoi ça te dérange ? Moi je pense qu'il faut que ça dérange mais en même temps il faut que cela plaise. Pour moi un spectacle réussi c'est un spectacle qui va susciter la réflexion mais pas nécessairement, ça peut aussi juste procurer du plaisir, une demi-heure, vingt minutes...

Le théâtre de rue n'est pas une prison, tu peux aller voir ce qui se passe et tu peux aussi t'en aller, c'est pas comme au théâtre normal, tu n'es pas obligé de rester jusqu'à la fin. Si cela ne te plait pas tu t'en vas et tu vas voir d'autres choses. En même temps quand c'est super bon et que le monde s'en va, ça me dérange. Je me dis « hey restez, c'est super bon ! ». On est dans une culture de la facilité et je ne suis pas sûre que ça soit une bonne chose.

M.J. : En France différents festivals comme le Festival International de théâtre de rue d’Aurillac10 ou Chalon dans la rue11 proposent certains spectacles où l'accès est payant, ça n'est apparemment pas le cas à Lachine, comment te positionnes-tu par rapport à cela ?

C.J. : Ce sont de tellement gros festivals qu'ils doivent avoir énormément de frais, mais pour moi ça ne devrait pas être payant. À la limite tu devrais pouvoir payer par exemple 2€ pour pouvoir rentrer sur le site, on te donnerait un badge et tu pourrais avoir accès à tous les spectacles. Je trouve ça platte12 mais en même temps ça ne me choque pas, parce que moi-même j'ai l'habitude de payer pour aller voir des spectacles, je fais des spectacles et j'aime quand les gens payent leur billet aussi.

M.J. : Du coup il n'y aurait plus cet esprit d'événement gratuit dans la rue et ouvert à tous...

C.J. : Oui c'est ça, c'est pour ça que je pense qu'il faut que ça soit gratuit. Il n'y a plus rien de gratuit.

M.J. : Un dicton célèbre dit que « la culture n'a pas de prix mais qu'elle a un coût », partant de ce constat penses-tu que le modèle de gratuité qui fait encore en grande partie école dans les arts de la rue puisse-t-être un modèle à défendre car il se justifie pleinement ?

C.J. : Je pense que les festivals devraient être gratuits, mais en même temps il y a des artistes qui travaillent longtemps, ils ne sont pas bien payés – moins qu'en Europe – ils vont travailler huit mois sur un spectacle qui va être joué quatre fois. Un peuple sans culture ou sans imagination c'est voué à mourir, c'est important qu'il y ait des choses accessibles. Les arts de la rue c'est comme un « no man's land », ça ne rentre dans aucune catégorie ici au Québec, mais la gratuité ça se paye. Je suis persuadée qu'il devrait y avoir le double voire le triple d'argent public dans le budget de la culture, sauf que c'est dur à justifier pour le public, pour le « monsieur tout le monde ». Ce qui va ressortir ce sont les mauvais spectacles, les mauvais coûts, mais dans la culture on prend des risques, il y a des bonnes choses et puis des moins bonnes. Je pense qu'il n'y a définitivement pas assez d'argent. La culture permet de faire évoluer les gens, elle permet d'emmener ailleurs et cela se paye. C'est comme les bibliothèques, c'est gratuit, ça coûte cher et il n'y a pas tant de personnes que ça qui les utilisent mais il n'y a pas le choix, il faut que les gens puissent avoir accès à cela. Je pense que c'est la même chose pour les arts de la rue comme pour toutes les formes d'art. Pour moi c'est un modèle justifié.

Je prêche pour ma paroisse, mais mon copain qui fait de la musique électro-acoustique, lorsqu'il m'emmène voir des spectacles je remarque que c'est toujours les mêmes gens qui sont là et ils reçoivent des sous dans ce secteur là aussi. Je me dis que c'est très avant-gardiste comme musique mais que cela permet d'aller toujours plus loin. C'est nécessaire à mes yeux pour la société de privilégier cela car ça participe à faire évoluer le monde.

M.J. : Quelle est ta vision du secteur des arts de la rue au Canada, es-tu satisfaite des directions prises par le secteur en général ? Je sais qu'a été créé en mars dernier le Rassemblement des Artistes de Rue de Québec13, il y a de plus en plus de compagnies qui se revendiquent de la rue, est-ce que tu penses que ça prend le bon chemin, que ça évolue dans le bon sens ?

C.J. : Je ne sais pas, parce qu'il n'y a pas tant de place pour se manifester que cela pour les artistes de rue au Québec. Ici nous sommes habitués à la culture du feu d'artifice, des effets spéciaux, etc, ce qui fait que des fois il y a des petits bijoux de théâtre de rue qui ne se vendront même pas car ils ne sont pas assez spectaculaire. On pense qu'ici ça ne prendra pas, que ça ne marchera pas, mais je ne suis pas d'accord. C'est pas parce qu'un spectacle est un peu français, un peu « franchouillard » que ça ne marchera pas. Nous sommes un peu là dedans, dans la culture du « faut qu'ça brille », le Cirque du Soleil ! Je ne sais pas trop quelle direction le secteur prend. Je trouve qu'en dix ans cela n'a pas évolué tant que ça. On est encore beaucoup dans la culture des amuseurs publics, on pense que le théâtre de rue c'est des jongleurs, des clowns, mais ça n'est pas uniquement cela. Les gens ne savent pas ce qu'est le théâtre de rue.


1Shawinigan est une ville du Québec située au centre de la Mauricie, dans un crochet de la rivière Saint-Maurice (la baie de Shawinigan). C'est la 18e ville la plus peuplée du Québec avec 51 904 habitants en 2006.

2Lachine est un des dix-neuf arrondissements urbains de la ville de Montréal situé dans le sud-ouest de l’île de Montréal.

3Le festival Juste pour rire, créé en 1983, est un festival d'humour qui a lieu chaque année à Montréal. Il s'agit du plus gros événement du genre sur la planète.

4Label rue est un festival nomade autour des arts de la rue qui a lieu chaque année en Languedoc-Roussillon.

5Le « catering », mot anglais signifiant « restauration, ravitaillement », est un terme de jargon professionnel qui désigne l'approvisionnement en repas d'un grand groupe de personnes. Il est largement employé dans le spectacle.

6« Build » signifie en anglais « édifier », « construire ».

7Le Conseil des Arts du Canada est une société d'état fédérale autonome qui se voue à l'appui, à la promotion, et à la reconnaissance de l'œuvre des artistes et des organismes artistiques canadiens.

8Ministère responsable des politiques et des programmes nationaux qui font la promotion d'un contenu canadien, encouragent la participation à la vie culturelle et communautaire, favorisent la citoyenneté active et appuient et consolident les liens qui unissent les Canadiens et les Canadiennes.

9De l'anglais « rush » qui signifie « bousculade », « ruée ».

10Le Festival international de théâtre de rue d'Aurillac, créé en 1986 par Michel Crespin et qui a lieu chaque année pendant l'été, propose des spectacles payants en plus des spectacles gratuits, entre 12€ et 18€ la place pour l'édition 2009 (source : programme officiel du festival).

11Le festival Chalon dans la rue, créé en 1986 et qui a lieu chaque année dans le centre de Châlon-sur-Saône, propose des spectacles payants en plus des spectacles gratuits, entre 2€ et 5€ la place pour l'édition 2009 en fonction des spectacles (source : site internet officiel du festival).

12« Platte » est un terme québecois utilisé dans le langage courant qui signifie « ennuyeux ».

13Aussi appelé le R.A.R., ce rassemblement a pour vocation de structurer le secteur des arts de la rue au Québec, il réunit différents professionnels du secteur.

Publié dans Rencontre

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